CRITIQUE. LÉON adore
Il est peut-être facile et même rébarbatif d’encore critiquer — ici en bien — ce film de Luc Besson. Il est depuis longtemps reconnu, bien considéré, et fait partie d’un patrimoine huppé du cinéma. Cependant, ce qui m’intéresse en faisant cette critique est tout autre : je m’amuse de cette remarque innocente d’un anonyme ami, qui en entendant le titre du film et son réalisateur, s’est exclamé « Après Lucy, Léon… » Non Benjamin. Léon bien avant. Léon bien plus important. Léon grandiose. Et je m’en vais t’expliquer pourquoi ce film de 1994 mérite une attention toute particulière, notamment par sa capacité à allier grand cinéma et thriller populaire, ainsi que cinéma français et cinéma américain.
Commençons par le commencement : je n’ai jamais vu un acteur aussi sublime que Jean Reno. Le film l’introduit comme un grand professionnel du meurtre — titre québécois : Le Professionnel. Il est précis, méticuleux, et avec ces habitudes particulières que seuls des personnages badass du cinéma hollywoodien peuvent avoir : l’entretien soigneux d’une plante verte ; le fait de dormir face à la chambre et près de son revolver ; les innombrables et indétrônables verres de lait… Le mythe va jusqu’à l’effacement total du besoin de se nourrir, pour concentrer le tout dans le lait, seule chose qu’il achète en grosserie. Mais ce quasi-cliché n’en est pas un, car Jean Reno joue un personnage simple. Professionnel, surhumain, mais simple : presque idiot. On le voit handicapé du contact social. Et c’est tout l’intérêt de sa rencontre avec Mathilda (Nathalie Portman), âgée de douze ans, tout autant perdue dans la vie.
Luc Besson a le génie de ne pas forcer la faiblesse de ses deux personnages. Au contraire, il va développer entre Léon et Mathilda une relation stable, justifiée, presque amoureuse et par conséquent proscrite. Mais ils sont trop simples pour savoir pourquoi. L’entretien appliqué et froid de la plante verte va prendre des couleurs affectueuses, et le sommeil en fauteuil va se dévoiler tragique, sous l’interrogation romantique de cette jeune fille. Ils vont chacun aller d’un amour confus : celui inavoué d’un père improvisé, et celui incompris d’une éternelle orpheline. Ces amours puissantes transperceront l’écran, mais sans parole, sans dialogue : par gestes ; par peur.
On sous-estime trop la puissance de la fin d’un film. Je ne parle pas de la dernière séquence d’action : je fais référence au plan final, et à la musique du générique. C’est à cet instant, vois-tu, que l’on mesure vraiment quelle tension nous a traversé, et quel emportement nous a épris : on le mesure au frisson qui nous parcourt lorsque la musique qui annonce la fin du film démarre. Alors, sortent les angoisses, douleurs, émois et transports emmagasinés durant la totalité du film. En fait, un film, c’est un petit peu comme un Cornetto. On l’aime en entier, mais la meilleure partie, c’est la fin de la fin du cône : là où nous attend la partie chocolatée. Ne manger que cette partie ne serait néanmoins pas aussi agréable que la manger après toute la glace ! Il faut l’entièreté du dessert pour apprécier son aboutissement. Eh bien je te le dis : « The Shape of My Heart » de Sting est la conclusion chocolatée de Léon, qui fait prendre conscience de la peur et de l’amour que nous partagions avec les personnages.
On remercie par ailleurs Eric Serra, pour sa pudeur mais aussi pour sa force musicale, qui ne fait pas de ce film d’amour déguisé une soupe étouffante, mais qui le soutient dans sa simplicité, sa ressemblance aux films d’actions, et sa sensibilité.
Je serais bien ingrat de ne pas parler, au moins en quelques mots, de l’esthétique de Luc Besson. Il ne s’agit pas d’un film de notre millénaire, plein d’effets vidéo Moebiussien. C’est là un thriller hollywoodien — j’y ai vu Die Hard, j’y ai vu Orange Mécanique — tout autant qu’un subtil travail plastique centré sur la psychologie. C’est avec grand mérite que ce film suscita l’intérêt de la Cérémonie des Césars, où il fut nommé sept fois en 1995.
Léon, 1994, réalisé par Luc Besson, avec Nathalie Portman et Jean Reno, origine française, durée : 1h50 (version cinéma) ou 2h13 (version longue)
Joachim Laurent
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